lundi 10 novembre 2014

Le ragoût d’agneau comme chez Giono


Le feu dans l’âtre soufflait et usait ses griffes rouges contre le chaudron de la soupe, et la soupe mitonnait en gémissant, et c’était une épaisse odeur de poireaux, de pommes de terre bouillies qui emplissait la cuisine. On mangeait déjà les légumes dans cet air-là. Il y avait, sur la table de la cuisine, trois beaux oignons tout pelés qui luisaient, violets et blanc, dans une assiette. Il y avait un pot à eau, un pot d’eau claire et le blond soleil tout pâle qui y jouait. […]

L’homme a tout regardé en prenant son temps, un temps pour chaque chose, tout posé. Il se fait une idée. Et, quand il se l’est faite, il dit :
« Vous êtes bien, là. »

Et, cette idée, si des fois elle n’avait pas été bien finie, elle s’est finie avec la bonne soupe d’Arsule, une pleine écuellée que les bords en étaient baveux, puis encore une, avec tous les légumes entiers, avec les poireaux blancs comme des poissons et des pommes de terre fondantes, et les carottes et tout le goût que ça laisse dans la bouche. Il y a eu une grande taillade de jambon maigre avec un liseré de gras qui miroite comme de la glace de fontaine. Puis il y a eu le fromage jauni entre les feuilles de noyer et parfumé aux petites herbes, et l’homme a mâché plus lentement alors, d’abord parce qu’il commençait à avoir le ventre plein et puis parce qu’avec sa bouchée il lui semblait qu’il pétrissait de la langue un morceau de la colline même avec toutes ses fleurs. Alors la pensée a été finie en plein et il a encore dit :
« Vous êtes bien ici, vous êtes bien ! »
Puis,
« Ça, c’est la vie ! »
Jean Giono - Regain

Note à moi-même : relire Colline, Un de Baumugne, Regain, Serpent d’étoiles, Le hussard, apprécier de nouveau cette belle langue.


On mangeait plutôt bien chez Jean Giono. Des nourritures simples, paysannes, bien ancrées dans les saisons provençales, que raconte sa fille Sylvie dans La Provence Gourmande de Jean Giono, un carnet de recettes familial et intime, illustré de photos anciennes et peuplé d’extraits de ses textes. Ce livre, que j’ai depuis très longtemps (mon édition date de 1994, mais il a encore été réédité récemment), je l’avais inauguré avec la daube des fêtes de fin d’Année et je le feuillette, de temps en temps, avec une vague idée de ce que j’y cherche. Ce matin-là, il faisait froid, je cherchais un ragoût d’agneau.

Ragoût d’agneau
(pour 6 personnes)
  • 1 kg d’épaule d’agneau coupé en cubes (j’ai utilisé de l’épaule et du collier)
  • 200g de poitrine salée coupée en dés (je n’ai mis que 50g de ventrèche)
  • 2 tomates
  • 2 carottes
  • 2 navets
  • 500g de pommes de terre (j’en ai rajouté un peu, disons 700g)
  • 1 verre de vin blanc sec
  • Huile d’olive
  • 3 oignons rouges
  • 2 gousses d’ail
  • 1 cube de bouillon concentré (j’ai horreur de ça, j’ai utilisé 20cl de bouillon de volaille maison)
  • Persil
  • Thym, laurier (et romarin en plus)
  • Sel et poivre du moulin
  • 1 CS de farine
  • 1 CS de concentré de tomate

Dans une cocotte, faire revenir successivement dans l’huile d’olive, puis réserver : la poitrine salée, les morceaux d’agneau, l’ail et les oignons avec la feuille de laurier. Remettre le tout ensemble dans la cocotte et saupoudrer d’une cuillérée à soupe de farine. Mélanger. Mouiller avec un verre de vin blanc, laisser évaporer 1 minute. Puis ajouter un verre d’eau (j’ai ajouté mes 20cl de bouillon). Ajouter les tomates pelées, épépinées et concassées et le concentré de tomate.  Assaisonner : sel, poivre, thym, romarin. Couvrir et laisser cuire 40 minutes avant d’ajouter les carottes et les navets épluchés et coupés en morceaux.  Couvrir et laisser mijoter encore 20 minutes puis ajouter les pommes de terre. Après environ 20-30 minutes de cuisson, une fois les pommes de terre cuites, saupoudrer de persil et servir de suite.

24 comments:

Rosa's Yummy Yums a dit…

Si réconfortant et savoureux!

Bises,

Rosa

Babeth De Lille a dit…

Après tout, il n'y a pas que dans le nord qu'on peut faire des plats réconfortants pour temps de frimas!....

Gracianne a dit…

C'est ça que j'aime dans ces plats Rosa, le côté réconfortant, tout simple, sans frime.

Babeth, ça rassure n'est-ce pas, eux aussi ils ont froid l'hiver, surtout quand le vent s'y met :)

Christine a dit…

Ah mais quelle splendeur. Il sait te faire humer et manger un plat dans sa lumière avec ses mots. Et te donne envie de le refaire en vrai! Surtout si tu nous rajoutes tes mots à toi, ta photo et la recette, le tout délectable.
(Mon livre de Giono préféré, puisqu'il y a une liste de tes lectures à venir: Un roi sans divertissement... pas un livre de nostalgie souriante et sympathique, mais quel beau livre.)

Patrick Cadour a dit…

J'adore ces recettes, ma grand mère avait aussi un ragoût d'agneau, plus breton, mais c'était déjà l'un de mes plats préférés, je déjeunais chez elle les jours d'école, car mes parents habitaient assez loin "du bourg".

Le cube de bouillon, comme le bouillon d'ailleurs, me parait bien facultatif compte tenu des ingrédients très aromatiques qui composent la recette, mais c'était devenu une habitude à une certaine époque.

dumè a dit…

"ça, c'est la vie !".....
quelle magnifique ode à la gourmandise, n'est-ce-pas ?

irisa a dit…

C'est comme si je me retrouvais dans la cuisine de ma mère ... et comme il est bon ce souvenir là

Marielle a dit…

ça sent bon les dimanches à la campagne, les dimanches en famille en Provence, quand il fait frais dehors et qu'on se hâte de se mettre autour de la table pour se réchauffer le coeur et l'estomac !!
Tu m'as donné envie de lire Giono, je ne l'ai jamais fait.
bises

McdsM a dit…

Tout à fait ' ragoûtant'!
Biz

Choupette a dit…

Ah les bons plats mijotés j'en suis adepte moi aussi.

Hélène (Cannes) a dit…

Ah ! Superbe Giono ... et superbe cocotte, avec non moins superbe contenu ... Tu me donnes envie de relire tout cela, tu sais ...

Hélène Picken a dit…

Tu sais me parler voisine. Ces plats mijotés me font craquer tout l'hiver.
Comme le souligne Patrick, c’est un plat de grand-mère. Tiens, Giono je l'ai relu, dernièrement avec Liz. Heureusement que mes filles sont là ;-)
Des bises

Gracianne a dit…

Ah Christine, c’est exactement ça, son écriture fait appel à tous les sens. « humer et manger un plat dans sa lumière », tu l’écris si bien !
Je n’ai pas lu Un roi sans divertissement (je vais y remédier). J’ai beaucoup lu, ado, ceux de sa première manière, que j’avais trouvés dans la bibliothèque familiale. On l’étudiait peu au collège ou au lycée à l’époque, certainement l’ostracisme qu’il avait subi après-guerre avait laissé des traces. J’ai lu le Hussard plus tard, beaucoup plus sombre, terrible même, certainement plus abouti. Mais je dois avouer une tendresse particulière pour les premiers, mon petit côté écolo-romantique sans doute ;)

Patrick, ça m’a fait penser moi aussi à un plat de grand-mère, le fameux haricot de mouton dont le nom m’a toujours fait sourire. Tu as été bien élevé.
Quant au bouillon cube, moi aussi j’en utilisais de cette façon dans mes plats autrefois, il y en avait dans toutes les recettes. Il avait la même fonction que le glutamate dans les cuisines asiatiques. Il m’arrive de rajouter quelques gouttes d’ingrédient secret dans mes plats, mais j’ai pensé que ce n’était pas nécessaire. Par contre je trouve que le bouillon rajoute une dimension supplémentaire à ce genre de plat, une certaine densité à la sauce, j’aime bien.

Dumè, ode à la vie, tout simplement.

Irisa, merci. J’ai l’impression d’avoir fait remonter quelques souvenirs avec ce plat.

Marielle, alors là, je suis pratiquement certaine que tu adorerais Giono, avec tes ballades dans la nature, tes émerveillements. Tu l’aimerais.

McdsM, c’est drôle comme certains mots un peu moches peuvent décrire des choses aussi délicieuses, non ?

Choupette, pareil, et ce n’est que le début des temps froids.

Hélène, toi qui connais bien cette région là, tout ça doit te parler d’autant plus. Relisons donc :)

Hélène, on m’avait déjà dit que je faisais de la cuisine de grand-mère, je crois que ça se confirme ;)

Eugénie a dit…

LA c'est de la vraie et bonne cuisine, ça a l'air excellent !!!!!!!!

Sophie François a dit…

Que j'aime cette cocotte et tout ce qu'il y a à l'intérieur ! Les plats mijotés c'est mon bonheur.

Danièle a dit…

Magnifique,
J'en fais un dès mon retour. Surtout que j'ai de l'agneau en réserve...
Et ce Giono là, je l'ai lu, il y a bien longtemps. Tu me donnes envie de le redécouvrir...
Je t'embrasse
DN

Gracianne a dit…

Merci pour ton enthousiasme Eugénie :)

Hello Sophie, et oui, c’est la saison, le retour de la grosse cocotte rouge. Pas très élégante (enfin, rustique disons), pas simple à prendre en photo, surtout avec le manque de lumière à cette saison, mais j’aurais du mal à m’en passer.

Coucou Maman, tu as vu, elle me sert toujours aussi bien ta grosse cocotte rouge, c’était un bon investissement. Vous allez aimer (enfin sans les carottes évidemment), ça sera parfait pour utiliser les petits morceaux d’agneau de Hoquy.
Le Regain doit toujours être à la maison quelque part, c’est un beau livre, serein. Bisous aussi.

Gabriella a dit…

Tes recettes font toujours l'unanimité !!
Ah ! je vois d'où vient cette super cocotte haute qui doit bien garder toutes
les saveurs.
Ta recette-littéraire va bientôt m'inspirer. Bises

Gracianne a dit…

Coucou Gabriella, et oui tu vois, c’est un cadeau de ma maman, d’il y a quelques années déjà, fort utile. Elles sont inusables ces cocottes le Creuset (je peux citer la marque, je ne suis pas payée). Bon elles attachent un peu au fond, il ne faut pas trop les décaper mais laisser le fond se culotter, tant pis si c’est noir. Et puis elles sont lourdes et malheureusement j’ai fait un jour tomber le couvercle, une des poignées s’est cassée. Mais elles sont incomparables pour ce genre de plats et passent de la plaque au four sans problème. Ce sont de vrais bons ustensiles de cuisson.

Faites-vous plaisir – j’avais oublié combien ça pouvait être bon un ragoût d’agneau, surtout le lendemain, réchauffé. Personne n’a même remarqué les petits navets tout fondants cachés dedans.

Tiuscha - Saveur Passion a dit…

je suis évidemment sensible à ce billet, à plus d'un titre ! un délice à déguster et à lire :) J'ai redécouvert Giono il y a quelques années avec la grande qui le lisait en classe, j'ai trouvé des nouvelles, textes courts vraiment agréables, apaisants...

Enitram a dit…

Voilà venu le temps des bons plats d'hiver !!! Un vrai plat de saison même si c'est au sud ! Et avec Giono que demander de mieux !!!
Bises ensoleillées

Gracianne a dit…

Tiuscha, oui, je sais que tu aimes bien aussi mêler cuisine et littérature – je te remercie d’ailleurs pour tes extraits de texte qui sont un régal à lire à chaque fois.

Enitram, ensoleillées, mais où est tu donc ?

Enitram a dit…

En Basse Normandie !!! Mais il a plu cette nuit et ce matin !!
Bonne semaine !

Mingou a dit…

J'adore la vue en plongée sur le contenu de la cocotte ! Ça fait rêver...
Quand je serai grande, j'en aurai une comme ça et je régalerai toute ma famille :-)

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