mercredi 17 décembre 2008

Nous y sommes



Par Fred Vargas
Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance.
Nous avons chanté, dansé.
Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s'est marrés.
Franchement on a bien profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis.
C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets.
De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvez-moi, ou crevez avec moi.
Evidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux.
D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, – attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille – récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d'échappatoire, allons-y.
Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.
Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie –une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut-être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.
Fred Vargas
Archéologue et écrivain

36 comments:

Anonyme a dit…

quel texte magnifique ! elle est forte cette Fred Vargas... D'où vient-il, ce texte?

Anonyme a dit…

Superbe idée de le diffuser sur ton blog! Bonne journée!

Gracianne a dit…

Anne-ce, il vient du site Europe-Ecologie: http://www.europeecologie.fr/blog/nous-y-sommes

C'est Pascale qui me l'a envoye par mail, c'est un de ces textes qui tournent sut internet, mais celui la il veut dire quelque chose.

Anonyme a dit…

Que la 3e révolution gronde! Chouette texte. Cianne, on vous verrait bien en Rosa Luxembourg de la pizza dominicale.

Anonyme a dit…

waow !
clair, bien écrit et certainement pas
pleurnichard ou revanchard ;
j'aime ;

Tifenn a dit…

Elle est vraiment super cette femme. Des mots justes, forts, de quoi remettre les choses en place! merci Gracianne de garder l'oeil ouvert aussi!

Brigitte a dit…

personne ne pourra plus dire: je ne savais pas !
merci Gracianne,

Rosa's Yummy Yums a dit…

Un texte super! L'humanité ne peut jouer indéfiniment et se prendre pour Dieu tout puissant...

Bises,

Rosa

Cuisine Framboise a dit…

Il me semble que le passage par la barbarie est inéluctable. Il me semble aussi que toutes les civilisations ont disparu à tour de rôle, je me suis toujours demandée pourquoi , quel était l'élément déclenchant. Tout cela me désole, mais je ne pense pas qu'il en sera autrement. Il y aura autre chose après, sûrement . Enfin j'aime à le croire. Ce n'est rien 2000 ans.

Gracianne a dit…

Brrrr Claudia, tu es d'humeur bien sombre ce matin.
Je crois qu'il n'y a rien d'ineluctable.

Anso a dit…

On dansera sur du crottin ça veut dire ??? Allez, trêve de, j'aime beaucoup Vargas, elle a le chic pour dire les choses graves avec humanité, elle ne joue pas, elle est vrai !!

Cuisine Framboise a dit…

Je vais bien ;-)
"L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage de l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il nous faut relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale." Pascal

Anonyme a dit…

C'est pas tout ça, mais il est où, Jean-Baptiste Adamsberg ?

Pour le reste, de toute façon, moi j'ai lu dans le Nouvel Obs que j'étais foutue, alors... : "On a fait n'importe quoi pendant les Trente Glorieuses : la plupart des pesticides utilisés ont d'ailleurs depuis été interdits. La génération née entre 1970 et 1991 est vraiment une génération sacrifiée, celle qui subit la recrudescence du cancer et de la stérilité." Hmmm, ça rend joyeux tout ça (http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2301/dossier/a390486-la_peste_soit_des_pesticides_.html).

maloud a dit…

Et moi qui pensait acheter Mycook de Taurus, après avoir vu un beau billet publicitaire. Tu me donnes mauvaise conscience :}}}

Anonyme a dit…

un très joli texte!

Anonyme a dit…

Voici un autre aveugle, meilleur que ceux qui n´aiment pas la Terre: http://fr.youtube.com/watch?v=LFvqmIi9Ymc&feature=related

Anonyme a dit…

Chemin Vert
http://www.youtube.com/watch?v=_f9GZqyk3U8&NR=1

Anonyme a dit…

Et le très grand Mikel Laboa et peu connu. Cette chanson est saisissantement belle .
http://www.youtube.com/watch?v=uI0HtYeQfHY

Botacook a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Botacook a dit…

Très joli, très bien écrit... ne déprimons pas... battons-nous (pour tenter de gagner cette Troisième Révolution)...

Hélène Picken a dit…

Oui ce n'est pas très optimiste pour l'avenir . Je vais faire lire ce texte à mes nouveaux voisins. Ces abrutis ne trouvent pas mon compost très esthétique.

Anonyme a dit…

Lucide et d'une certaine manière porteur d'espoir, c'est tout Fred Vargas.
"Dansons la Carmagnole
Vive le son
Vive le son
Dansons la Carmagnole
Vive le son du canon !"

Babeth De Lille a dit…

pour le crottin, je vais faire ce que je peux, mais ça va être difficile.... je vais aussi faire ce que je peux pour le reste d'ailleurs....
non, je rigole mais j'apprécie beaucoup ce texte....merci de l'avoir publié ici

Ericetcompagnie a dit…

Yéé, est ce que "récession" peut vouloir dire "décroissance" ? Alors dans ce cas la crise est pas si pire ? C'est clair, il faut le maitriser pour que les résultats soient positifs et restent modernes. Mais si on y réfléchit pas un peu, on y arrivera pas. Aller, on ne rangera pas de sitôt le "yes we can" !
Très beau texte, merci (encore) Gracianne.

Anonyme a dit…

C'est la lutte, finale, groupons-nous, et demain. Demain, jour morose, jour de ciel gris et de terre stérile.
Brrr.
Oui, l'important, c'est quelque chose comme une prise de conscience, progressive. Non, on ne peut pas tout changer du jour au lendemain. On a juste un peu de boulot, pour quelques années. Bien vu

Gracianne a dit…

Pour le crottin, et pour le reste, on va tous faire ce qu’on peut Babeth. Progressivement, comme dit Camille, l’important c’est d’en prendre conscience maintenant.

Yes we can :)

Sopadeajo (je suppose que c’est vous, sortez de votre anonymat), merci pour la musique. Ca détend. Dommage que je ne comprenne pas le basque.

Anonyme a dit…

Merci pour le lien Gracianne, je vais aller faire un tour sur ce site... Et aussi lire cet article du nouvel obs dont nous parle Anaïk, et qui n'a pas l'air très réjouissant... La génération 1970-1991, je suis en plein dedans!

Anonyme a dit…

MERCI MERCI MERCI...Ce texte est génial (bien que réaliste=flippant), je m'efforce de faire tourner des liens, des diaporamas, des textes (comme celui ci) en mails pr faire réagir les gens tout en douceur...Je te remercie donc de faire partager ce texte ainsi que tes recettes.Encore merci

Anonyme a dit…

gracianne, je préserve mon anonymat car je suis timide (smile). La chanson dit ceci:
-------------------------------
Si le hubiera cortado las alas
habría sido mío,
no habria escapado.
Pero así,
habría dejado de ser pájaro.
Y yo…
yo lo que amaba era un pájaro.
-------------------------------
dont la traduction dans la langue de Poulidor (pourquoi toujours Molière?) est celle ci:
----------------------------------
Si je lui avais coupé les ailes
il aurait été à moi
il n´aurait pas échappé
Mais ainsi il n´aurait plus été un oiseau
Et moi...
Ce que j´aimais c´était un oiseau

Papilles et Pupilles a dit…

Quel joli texte !très très fort

Anonyme a dit…

Mais c´est surtout l´Ouï l´exalté dans cette magnifique chanson, chère Papilles et Pupilles. La musique est encore plus forte que le texte... merci d´avoir aimé.

Gracianne a dit…

Merci timide anonyme, pour la chanson et pour la traduction. Je voulais seulement vous dire de signer de votre pseudo, au lieu de rester un "anonyme" - Sopadeajo me convient très bien.
Bon dimanche.

Anonyme a dit…

je ne sais pas si je suis pessimiste mais ... est il encore temps ? on en a mis du temps à se bouger le c... et à regarder la vérité en face :(
Bon, ça n'empêche pas de faire ce qu'on devrait tous faire quand même hein ?

Eglantine a dit…

C'est un peu mon état d'esprit ce texte... note bien que je suis confiante, la nature est plus forte que nous et elle n'a pas besoin de nous. Elle finira toujours par reprendre ses droits... elle se débarasse simplement au passage de qui l'ennuie...

Anonyme a dit…

Ca me fait frissoner. J'ai beau faire mon compost, recycler, trier, acheter de moins en moins "délocalisé", faire maison, économiser (l'eau, l'électricité...), et apprendre à mes élèves à en faire autant... je suis assez pessimiste, comme Marion.
(soupir)
En tout cas merci pour ce texte que je ne connaissais pas.

Eglantine a dit…

J'ai pensé à toi tout à l'heure en lisant un texte, ce texte... connais tu ce site ?

http://jardinsessentiels.blog.fr/2009/01/29/a-savourer-a-digerer-a-partager-5466872/

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...